L'étude des sens est compliquée par un fait essentiel du langage humain. Il n'existe pas une relation univoque et simple entre les formes et le sens. Plusieurs formes distinctes peuvent porter le même sens, comme c'est le cas pour la synonymie (voir plus bas), mais une seule forme peut aussi porter plus d'un sens.
Prenons les exemples suivants:
la construction du pont / une belle construction moderne
la clé de la porte / la clé du problème
l'étalon et la jument / l'étalon de l'or
un livre intéressant / une livre de beurre
Chacun des exemples met en jeu deux occurrences de la même forme (construction, clé, étalon, livre), mais nous avons l'impression qu'il existe une différence entre les deux premiers et les deux derniers.
Dans les deux premiers cas, il nous semble qu'il existe une relation de sens entre les deux occurrences de la forme. L'action construction nous semble reliée à l'objet construction. De même, clé nous semble indiquer quelque chose qui donne accès dans les deux cas. Nous formalisons cette intuition d'une parenté de sens par le terme de polysémie. Mais comment prouver son existence?
Une méthode consiste à montrer qu'il existe une relation systématique entre les deux sens. Ainsi, dans le cas de construction, le premier sens désigne une action et le deuxième le produit de l'action. On retrouve cette même relation dans toute une série de mots français (p.ex. abréviation, acquisition, addition...). Dans le cas de clé, les deux sens partagent une même base sémantique (`qui donne accès à'), tout comme d'autres cas comme bouche, tête, pied.
Par contre, dans les deux derniers cas ci-dessus (étalon, livre), nous avons l'impression qu'il n'existe aucune relation de sens entre les deux occurrences. La première occurrence d'étalon signifie `cheval mâle' tandis que la deuxiéme signifie `mesure de quantité'. La première occurrence de livre signifie `pages reliés qu'on lit' tandis que la deuxième signifie `mesure du poids'. On utilise le terme d'homonymie pour désigner cet état d'affaires, où il n'existe aucune relation sémantique entre deux formes identiques. Si les deux formes ont la même prononciation mais non pas la même orthographe (p.ex. ton/thon, ère/air, saut/seau), on parle d'homophonie, et si les deux formes ont la même orthographe sans la même prononciation, on parle d'homographie (p.ex. fils/ fils).
Comment prouver la relation d'homonymie, pour la distinguer de la polysémie? L'un des critéres, comme nous l'avons vu, est fourni par le sens. Si on a une relation de sens, il s'agit de polysémie, sinon, il s'agit d'homonymie. Un autre critère est de nature formelle: deux homonymes peuvent se distinguer par leur genre, par leur partie du discours, par leur orthographe. Ainsi, dans le cas de livre, on constate que la première occurrence est masculine, la deuxième féminine. Un troisième critère est fourni par la dérivation. Prenons le cas de étalon. On constate que la première occurrence ne donne pas lieu à des formes dérivées. Par contre, la deuxième est reliée à un verbe étalonner `tester en comparant à une mesure'. La différence de dérivation nous donne un indice de la différence de classe.
L'etude des sens multiples se complique une fois qu'on inclut la dimension historique. L'évolution du sens peut passer par une longue série d'étapes qui font en sorte que l'on voit peu de parenté entre le point de départ et le point d'arrivée. Par exemple, en français, le mot grève `cessation volontaire de travail' repose sur le sens `plage de gravier' puisque les travailleurs sans ouvrage s'assemblaient à Paris sur la Place de Grève. Mais de nos jours, personne (sauf les linguistes) ne voit le lien.
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