Littérature algérienne d’expression française
*Quel devenir ?
La littérature algérienne d’expression française devient le talent d’une individualité. Par ses sensations, ses sentiments, les images et les formes, l’écrivain d’aujourd’hui est celui qui est en train de construire nos valeurs. Le plaisir de lire constitue un cri.
Un roman, c’est d’abord une œuvre captivante et distrayante. « Grâce au style, au langage, au rythme, à la construction qui sont les siens, l’écrivain invite le lecteur à accepter d’être pris au piège, de souscrire à son dessein », selon Heinrich Böll, prix Nobel de littérature 1978. La littérature algérienne d’expression française est une dimension temporelle, une période historique et un espace spatio-temporel, ce sont d’abord des noms : M. Dib, M. Feraoun, M. Mammeri, A. Bounemeur, K. Yacine, A. Boumahdi… et des œuvres : L’Incendie, Le Fils du pauvre, La Colline oubliée, Nedjma, La Répudiation, Le Fleuve détourné… Dès le déclenchement de la révolution en Novembre 1954, certains romanciers tels que Dib, Feraoun, K. Yacine se posaient des questions fondamentales. Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Ils parlent de malaise, de désarroi. Ils veulent être les témoins d’un peuple et d’une patrie spoliée.
Cette littérature de « combat » refusait le mimétisme et l’acculturation exprimés par les frères Zinati, Leïla Debbèche et Mohamed Ouled Cheikh qui ont accepté l’assimilation du français (voir leurs écrits de 1920-1930). Cette littérature devenait une littérature de la résistance, de la contestation et du refus de l’ordre colonial. Le roman algérien devenait un écrit de l’errance et du déracinement, une protestation contre l’injustice sociale, un roman « tribune ». Comme l’avait bien remarqué M. Lacheraf : « Cette littérature va refléter, pour la première fois dans les lettres françaises, une réalité algérienne qu’aucun écrivain, même Camus, n’avait eu le courage de traduire. »
A cette époque, l’écrivain algérien était, comme disait F. Fanon, « condamné à la plongée dans les entrailles de son peuple ». Après l’indépendance, les romanciers sortent du thème obsédant de l’immense victimologie dont parle Gilles Charpentier in Evolution et structure du roman algérien de langue française. Il faut remonter le temps, croire en la vie. Lacheraf disait en Tunisie en 1968 : « On exploitait abusivement l’héroïsme guerrier. » A. Laâbi, dans L’œil et la Nuit, lançait un cri : « Et maintenant, nous, nous sommes exténués du passé. Mais qui sommes-nous ? Comment sortir de la caverne ? » M. Boureboune faisait dire au héros du Muezzin (1968) : « Marre de tous les pays en quête de héros positifs. » En Algérie, de nouveaux romanciers se font connaître, M. Farès, M. Boureboune, A. Djebar, A.
Lemsine, M. Achour, R. Boudjedra, R. Mimouni, T. Djaout… Les auteurs anciens, tels que Dib, Mammeri continuèrent de créer. Le premier fait apparaître Dieu en Barbarie, La Danse du roi, Habel le second, La Traversée. Les thèmes étaient pluriels et enrichissants, l’aliénation, la religion, la condition humaine, l’absurde… « L’écrivain, disait R. Mimouni, écrit pour les marginaux, les paumés, les laissés-pour-compte. » La littérature algérienne d’expression française aujourd’hui n’est pas « condamnée à mourir jeune », comme l’avait affirmé A. Memmi. Elle innove, elle rayonne, elle surprend. Le roman algérien n’est pas un « déclin », pour reprendre l’expression du critique littéraire Todhkrov. Elle ne cesse de poser ou de reposer les problèmes urgents des êtres, leur vie, leur avenir, leur espérance.
Le roman devient « recherche », comme l’ont souligné Bakhtine et M. Butor. L’œuvre littéraire devient, en effet, un appel. Elle est le reflet d’une époque. Elle est « prédilection ». Par la parole qui est un pouvoir, le romancier maîtrisant la durée narrative nous offre un tableau objectif d’un certain vécu. Les lecteurs ressentent ce plaisir du texte en y adhérant. Une nouvelle tendance et née : elle questionne notre devenir. Elle aspire à un renouveau. L’œuvre littéraire devient ainsi le refuge d’une conscience libre. Les romanciers algériens en France s’engagent dans cette aventure de l’écriture. On produit maintenant avec M. Mokkadem, N. Bouraoui (prix Renaudot), A. Benmalek, Le Rapt ; A. Beggag, La Guerre des moutons et, bien sûr, avec toujours Malek Alloula et H. Tengour, Salim Bachi et Nadia Ghalem.
Aujourd’hui en Algérie, l’œuvre littéraire est un moyen de communication, une toile de significations, un combat que l’auteur nous propose et une source originale. Elle est souvent la logique d’une sensibilité et une création d’une vérité essentielle. Ce que Baudelaire appelle « la reine des facultés ». L’œuvre littéraire est aussi une image de l’esprit. J. P. Reverdy disait : « L’image est une création de l’esprit, une manière nouvelle d’approcher l’esprit. » Chez nous, cette création devient « l’essentiel et l’urgence », pour reprendre l’expression du sociologue E. Morin. Dans cette optique, il faut lire Y.
Mechakra, Magani et surtout le roman de H. Grine, Cueille le jour avant la nuit (prix des Libraires) ou ceux de Salim Bachli, Tuez-les tous (2006) et Le Chien d’Ulysse (Prix de la vocation – Goncourt de premier roman). Avec Yasmina Khadra aussi, la littérature algérienne d’expression française rayonne. Elle surprend. Cet écrivain, lecteur de Nietzche et d’El Mutanabbi pour son écriture originale et l’art de conter, inscrit une œuvre majeure dans cette histoire littéraire. Après sa trilogie romanesque, on retient cette fresque merveilleuse sur la période coloniale, Ce que le jour doit à la nuit (meilleur livre de l’année 2008). On conserve cette phase d’espoir dans ce livre, où le père dit à Thébaine : « Aime de toutes tes forces. Aime comme si tu ne savais rien faire d’autre. » C’est une œuvre capitale.
Avec L’Olympe des infortunes, il resplendit : un message philosophique qui s’ouvre sur un quatrain de O. Khayyâm : « Si tu veux la paix, accepte ton destin. » Dans ce roman, les personnages, le Borgne, le Pacha, le Simplet sont exclus du champ social. Ils se retrouvent dans la déchéance et la misère. Khadra situe les notions de la mensongerie et de la culpabilité. Il est dit page 13 : « Je ne sais pas comment j’ai échoué. » C’est la vérité — ce roman nous rappelle cette « inquiétante étrangeté de l’être » dont parle Freud. Un désarroi face à un monde qui a perdu sa raison —, R. Boudjedra reste toujours surprenant avec L’Hôtel Saint-Georges et Les Figues de Barbarie. On ne raconte plus cet auteur, il faut le lire. Le dépliement du sens se trouve aussi chez A. Zaoui avec son dernier livre qui reste fascinant. Cette littérature algérienne connaît aussi l’éclosion de nouveaux talents : M. Ben Fodil, M. Farah, Ben Achour et beaucoup d’autres encore. L’œuvre devient déplacement, réponse aux questions de l’heure. Une littérature de « l’immédiat ».
Le texte avec cette tresse de sens devient une copie de la réalité. Il l’exprime : la chronique littéraire est aussi à apprécier. Elle est attente et dévoilement. Il faut lire A. Lotfi, T. Belghiche, A. Ferhani, O. Merad, D. Khellas, A. Chawki, M. Begtache…, écrits pluriels qui questionnent notre existence. Lire dans ce sens R. Escarpitt, La Littérature et le Social. L’écrivain P. Henri Simon disait à ses les lecteurs en 1972 : « Pas de force littéraire qui ne soit que style et pas de bonne littérature qui ne soit style. » Nous sommes une « pierre lancée », disait M. Dib, avant d’écrire L’Arbre à dires. L’écriture s’inscrit ainsi dans cette algérianité. Elle aspire à ce changement : à vivre plus. La littérature algérienne d’expression française devient le talent d’une individualité. Par ses sensations, ses sentiments, les images et les formes, l’écrivain d’aujourd’hui est celui qui est en train de construire nos valeurs.
Le plaisir de lire constitue un cri. A notre perplexité dans cette mouvance sociale, c’est une vision de monde. Pour cela, il faut revenir à l’excellent ouvrage de Rachid Mokhtari, Le Second Souffle du roman algérien. (El Watan-14.04.2010.)
Par Kennouche Kamel : Professeur universitaire