Le Loup et l'Agneau
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Jean de la Fontaine est un poète et fabuliste français qui naît le 8 Juillet 1621 à Château Thierry. Sa charge de maître des eaux et des forets le met au contact de la nature et l’oriente vers l’écriture d’un recueil de 226 fables reparties en 12 livres qui occupent un place singulière dans le patrimoine littéraire français. Grâce à son œuvre, le genre de la fable, emprunté aux auteurs de l’Antiquité connaît une grande fécondité au XVIIe siècle et se revêt d’une dimension philosophique ou politique dans un ensemble diversifié à grande richesse poétique. Ainsi, à partir de canevas narratifs simples attribués à Esope, Phèdre ou Pilpay, Jean de la Fontaine crée des récits dynamiques et séduisants, et " se sert d’animaux pour instruire les Hommes ".
La fable portée à l'étude, « Le loup et l’agneau » est extraite du premier recueil paru en 1661, qui regroupe des fables légères et courtes, directement destinées aux enfants. En moins de trente vers, La Fontaine y fait le récit d'une rencontre entre un loup affamé et un agneau naïf et édicte une loi aussi ancienne qu’immorale : la loi du Talion.