Dix secrets pour aimer lire (par Dominique Demers)
1. La lecture, c'est comme l'amour !
Tout le monde peut aimer... et tout le monde peut aimer lire. Mais pas nécessairement la même personne... ou le même livre. Les jeunes qui disent ne pas aimer lire n'ont simplement pas encore trouvé un premier coup de coeur, un livre qui les étonne, les émeut, les questionne, les fait rire, les vire à l'envers. Un livre qui leur fait découvrir que lire rend heureux.
2. Les livres «drabes» sont plus dangereux que les livres cochons
Le plus dangereux pour un enfant n'est pas de lire le mot «fesse» dans un livre mais de se retrouver avec un livre «drabe» entre les mains. Un livre qui ne dérange rien et ne réinvente rien. Le critère de sélection le plus important en littérature pour enfants et adolescents est l'intensité. Les enfants et les adolescents sont des êtres terriblement intenses. Lorsqu'ils tombent deux ou trois fois de suite sur un livre ordinaire ou franchement plate, ils décident que la télé leur plaît, de même que le cinéma, l'Internet et le Super Nintendo, mais les livres, c'est pour les autres.
3. Diversité et accessibilité: sans eux point de salut
Pour trouver son livre coup de coeur, un jeune doit avoir accès à une diversité de propositions sans trop faire d'efforts puisqu'à prime abord il n'est pas encore convaincu. Très peu de jeunes Québécois ont réellement et facilement accès à une bonne variété de livres pour tous les goûts. Les bibliothèques scolaires, au primaire du moins, sont de vieux navires sans capitaine et à l'heure de la Grande Bibliothèque, la majorité des citoyens sont mal desservis dans leur ville ou dans leur quartier. La littérature jeunesse a connu un formidable essor. Elle offre déjà, présentement, un bon choix de livres pour tous les goûts. Tous les enfants et les adolescents peuvent trouver leur livre coup de coeur sur un rayon quelque part. Mais encore faut-il que ces livres soient facilement accessibles.
4. Il faut prendre les jeunes où ils sont (et non où l'on voudrait qu'ils soient)
On ne commence pas à aimer lire avec Balzac. Pour qu'un enfant ou un adolescent aime lire, il faut le cueillir là où il est, avec ses intérêts, ses fantasmes, ses peurs, ses curiosités et ses habiletés de lecture. Pas le prendre où l'on voudrait qu'il soit. Le prendre où il est VRAIMENT. Nous vivons malheureusement à une époque de grande pression pour la performance.
Pour décrire cette triste réalité, les sociologues américains ont inventé le terme «hurried child», l'enfant qu'on pousse à grandir vite. Quand vient l'heure de la lecture autonome, la pression est forte. Tous les parents souhaitent pouvoir offrir un livre pour les huit ans et plus à leur fils ou à leur fille de six ans. C'est dommage! Pour aimer lire, il faut y trouver du plaisir. Et pour ça, il faut un livre à notre mesure. De toute manière, de nombreux gros romans sont simplement épais et d'immenses chefs-d'oeuvre tiennent dans de toutes petites plaquettes.
5. Il n'y a pas de bons et de mauvais livres
Les adultes ont tendance à condamner une foule de livres que les jeunes adoptent spontanément: romans d'épouvante, bande dessinée, romans d'amour en série. «Lis pas ça!» C'est «bas de gamme», «nul», «pas intelligent», «mal écrit»... En êtes-vous sûr? Chose certaine, le dire ainsi permet simplement de couper tous les liens avec le jeune.
Anne-Sophie lit des romans d'amour en série? Au lieu de lui dire que c'est moche, pourquoi ne pas s'intéresser à ses goûts et en profiter pour lui proposer un roman d'amour qui ouvre plus de fenêtres sur le monde.
Cassiopée ou l'été polonais de Michèle Marineau, par exemple, prix du Gouverneur général et livre coup de coeur selon le vote des jeunes.
6. Les livres ne doivent pas être sexistes, mais la lecture l'est
Si tant de petits garçons ne lisent pas, c'est peut-être en partie parce que l'univers des livres est profondément féminin. Les enseignants du primaire comme les bénévoles de la bibliothèque scolaire sont à 90% des femmes. Le choix de livres peut-il être moins adapté aux petits garçons? Toutes les recherches démontrent que les goûts de lecture des filles et des garçons sont différents. Ainsi, la majorité des gars s'ennuient à lire des romans d'amour et les filles sont moins sensibles à la science-fiction.
Le discours officiel en faveur de la lecture fait la promotion de la fiction.
Or, la plupart des jeunes lecteurs masculins sont captivés par les livres de non-fiction, le documentaire par exemple. Ces ouvrages peuvent être de très grande qualité, extrêmement bien écrits et fort intelligents. De nombreux petits garçons ont découvert le plaisir de lire avec le fameux Livre des records Guinness. Et pourquoi pas? Ce qui compte, c'est de continuer de les alimenter après leurs premiers coups de coeur afin qu'ils s'épanouissent encore davantage.
7. Les jeunes sont très sensibles au plaisir des mots
Je me souviendrai toujours de Marie-Ève, 13 ans, qui dans sa lettre à un écrivain confiait: «Jamais de ma courte vie, je n'aurais cru les mots si puissants.» La plupart des jeunes sont extrêmement sensibles au pouvoir des mots. Ils écrivent secrètement de la poésie, se confient à un journal, sont émus par la musicalité d'un texte. Selon un sondage mené il y a une dizaine d'années, leur écrivain préféré, après Stephen King et Lucy Maud Montgomery, était... Émile Nelligan! Mais pour être sensible au pouvoir des mots, encore faut-il réunir quelques conditions minimales. Je me considère une lectrice passionnée et gourmande mais ce que je lis d'important, je le lis au lit avec trois oreillers.
Est-ce possible que les jeunes soumis à une période de lecture obligatoire à l'école tous les jours entre 12h50 et 13h05 passent à côté du pouvoir des mots? Seriez-vous capable de lire sur une chaise droite en rentrant de récréation essoufflé ?
8. Il faut absolument faire vivre la lecture
Ilexiste des lieux (bibliothèques, salles de classe, salons) où de bons livres pour tous les goûts sont facilement accessibles et pourtant, les livres restent sur les rayons. Ce qu'il manque? L'animation. Récemment, je mentionnais à la bibliothécaire d'une polyvalente que je visite depuis des années que j'avais remarqué une baisse de motivation en lecture lors de mes dernières rencontres.
Elle a avoué en rougissant qu'avec les dernières coupures, elle n'avait plus le temps d'animer le livre auprès des jeunes. Le résultat avait été immédiat. Baisse de motivation. Ce n'est qu'un exemple parmi des milliers.
Les interventions les plus efficaces auprès des jeunes sont parfois les plus simples. Des exemples? Lire devant eux, leur faire la lecture à haute voix même lorsqu'ils sont capables de lecture autonome, discuter des livres qu'ils aiment, leur parler des livres qu'on aime, fréquenter les librairies, les bibliothèques, les salons du livre...
9. Le plus important : des ponts vivants !
Il y a une dizaine d'années, j'ai effectué ma première tournée d'écoles à titre d'écrivain. Ce qui m'avait le plus abasourdie dans cette tournée, c'était de découvrir que dans un même quartier, deux écoles pouvaient être aussi différentes. Concrètement, il y avait des écoles où les enfants lisaient beaucoup (c'est ce qui m'intéressait) et d'autres où on ne lisait pas. Dans un même quartier, alors que les enfants provenaient d'un même milieu socio-économique, la réalité, à quelques coins de rue d'écart, était parfois totalement différente.
Qu'est-ce qui faisait qu'avec les mêmes budgets, la même clientèle, les mêmes programmes, d'un côté ça marchait et de l'autre ça foirait? Ce qui changeait, c'est les gens!
Les bons livres existent. Il faut continuer à en publier, mais le plus important, présentement, c'est... les ponts vivants, ceux qui font le lien entre les enfants et les livres: parents, personnel de bibliothèque, enseignants, libraires, animateurs…
10. Pour être stimulant, il faut être stimulé
Un bon pont vivant, c'est quelqu'un de passionné. Pour qu'un adulte transmette le goût de lire, il doit d'abord avoir lui-même découvert (ou redécouvert ) le bonheur de lire. C'est vrai pour les parents, comme les libraires, les bibliothécaires et les professeurs. Un bon pont vivant c'est aussi quelqu'un d'outillé et d'informé. Or, la majorité des enseignants, au primaire comme au secondaire, n'ont jamais eu de formation en littérature jeunesse ni en animation de la lecture. Tous les médiateurs devraient avoir accès à des outils, des informations et de la formation, de manière simple et accessible, afin de bien jouer leur rôle. La meilleure politique de la lecture doit permettre à tout le monde de bien jouer son rôle. Tout de suite. Maintenant. Facilement. Et sans que ça coûte une fortune. Mais encore faut-il que tous les jeunes aient clairement accès à des livres. À l'aube de ce troisième millénaire l'accès aux livres ne devrait-il pas déjà être une réalité ?