Titre : Argumentation –Plaidoyer et Réquisitoire
Texte 1
Émile Zola : Déclaration au jury
Traîné devant la justice pour avoir pris la défense d'Alfred Dreyfus en mettant en cause l'armée française (J'accuse a paru dans L'Aurore le 13 janvier 1898), Émile Zola prononce cette déclaration au terme de son procès, le 21 février.
Vous n'en êtes pas à dire comme beaucoup : "Que nous importe qu'un innocent soit à l'île du Diable ! est-ce que l'intérêt d'un seul vaut la peine de troubler ainsi un grand pays ?" Mais vous vous dites tout de même que notre agitation, à nous les affamés de vérité et de justice, est payée trop chèrement par tout le mal qu'on nous accuse de faire. Et, si vous me condamnez, messieurs, il n'y aura que cela au fond de votre verdict : le désir de calmer les vôtres, le besoin que les affaires reprennent, la croyance qu'en me frappant, vous arrêterez une campagne de revendication nuisible aux intérêts de la France.
Eh bien ! messieurs, vous vous tromperiez absolument. Veuillez me faire l'honneur de croire que je ne défends pas ici ma liberté. En me frappant, vous ne feriez que me grandir. Qui souffre pour la vérité et la justice devient auguste et sacré. Regardez-moi, messieurs : ai-je mine de vendu, de menteur et de traître ? Pourquoi donc agirais-je ? Je n'ai derrière moi ni ambition politique, ni passion de sectaire. Je suis un libre écrivain, qui a donné sa vie au travail, qui rentrera demain dans le rang et reprendra sa besogne interrompue. Et qu'ils sont donc bêtes ceux qui m'appellent l'italien, moi né d'une mère française, élevé par des grand-parents beaucerons, des paysans de cette forte terre, moi qui ai perdu mon père à sept ans, qui ne suis allé en Italie qu'à cinquante-quatre ans, et pour documenter un livre. Ce qui ne m'empêche pas d'être très fier que mon père soit de Venise, la cité resplendissante dont la gloire ancienne chante dans toutes les mémoires. Et, si même je n'étais pas Français, est-ce que les quarante volumes de langue française que j'ai jetés par millions d'exemplaires dans le monde entier, ne suffiraient pas à faire de moi un Français, utile à la gloire de la France!
Texte 2
Victor Hugo : Le dernier jour d'un condamné, préface (1832)
Mais vous, est-ce bien sérieusement que vous croyez faire un exemple quand vous égorgillez misérablement un pauvre homme dans le recoin le plus désert des boulevards extérieurs ? En Grève, en plein jour, passe encore ; mais à la barrière Saint-Jacques ! mais à huit heures du matin ! Qui est-ce qui passe là ? Qui est-ce qui va là ? Qui est-ce qui sait que vous tuez un homme là ? Qui est-ce qui se doute que vous faites un exemple là ? Un exemple pour qui ? Pour les arbres du boulevard, apparemment. Ne voyez-vous donc pas que vos exécutions publiques se font en tapinois ? Ne voyez-vous donc pas que vous vous cachez ? Que vous avez peur et honte de votre œuvre ? Que vous balbutiez ridiculement votre discite justitiam moniti? Qu'au fond vous êtes ébranlés, interdits, inquiets, peu certains d'avoir raison, gagnés par le doute général, coupant des têtes par routine et sans trop savoir ce que vous faites ? Ne sentez-vous pas au fond du cœur que vous avez tout au moins perdu le sentiment moral et social de la mission de sang que vos prédécesseurs, les vieux parlementaires, accomplissaient avec une conscience si tranquille ? La nuit, ne retournez-vous pas plus souvent qu'eux la tête sur votre oreiller ? D'autres avant vous ont ordonné des exécutions capitales, mais ils s'estimaient dans le droit, dans le juste, dans le bien. Jouvenel des Ursins se croyait un juge ; Élie de Thorette se croyait un juge ; Laubardemont, La Reynie et Laffemas eux-mêmes se croyaient des juges ; vous, dans votre for intérieur, vous n'êtes pas bien sûrs de ne pas être des assassins.